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Philippe Demeestère : "la rencontre du migrant peut nous transformer"
Contenu national
Thème
Migrants
Commune
Saint-Étienne

Philippe Demeestère : "la rencontre du migrant peut nous transformer"

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À l’occasion de la Journée mondiale du refus de la misère du 17 octobre, organisée par ATD Quart-monde, le Secours Catholique de la Loire a invité le père Philippe Demeestère, aumônier du Secours Catholique dans le Pas-de-Calais qui s’est fait connaître par une grève de la faim entreprise en septembre 2021 contre le démantèlement systématique des camps de migrants pendant l’hiver. Lundi 10 octobre à l’amphithéâtre du lycée Saint-Michel et mardi 11 à la Maison diocésaine, il a rencontré les acteurs de la solidarité avec les migrants, bénévoles du Secours catholique ou d’autres associations.

« Je suis toujours stupéfait de voir le nombre de personnes qui sont impliquées dans l’accueil des migrants, sous des modalités différentes, dans les différents départements », témoigne Philippe Demeestère encore étonné de ce « phénoménal » nombre de militants. « On en parle peu », regrette-t-il, estimant que tous ces engagements : « gagneraient à pouvoir se fédérer davantage sur la scène publique ». C’est d’ailleurs sur la scène publique que se joue vraiment, pour le jésuite, l’action en faveur des migrants, suggérant qu’on devrait : « planter la tente devant les préfectures », pour se faire entendre des autorités administratives et : « Qu’on communique sur cela ! ... l’intérêt de la confrontation est d’obliger l’adversaire à se démasquer ! »

C’est ce qu’on a découvert avec l’accueil des Ukrainiens qui ont bénéficié d’un traitement différencié. « On a mis en valeur toute cette hospitalité dont a été capable la société française à l’occasion de l’arrivée des réfugiés ukrainiens mais, regrette l’aumônier du Secours catholique du Pas-de-Calais, on ne fait pas la même chose à propos de cette hospitalité qui est pratiquée depuis des années pour d’autres exilés qui n’ont pas le bonheur d’avoir une peau blanche et qui n’ont pas forcément une religion chrétienne ».

Identité et citoyenneté

Européens, Africains, Asiatiques, les migrants n’ont pas les mêmes chances. Doit-on tenir compte de leur identité ? Et quelle est l’identité de ces personnes qui ont quitté leur pays ? « C’est bien un enjeu, souligne le père Demeestère, faire entendre que, au-delà de leurs histoires qui sont uniques, ils appartiennent à un mouvement qui va prendre de l’ampleur dans les dizaines d’années à venir et qui est porteur d’une identité avec laquelle nos propres identités vont avoir à se reconfigurer ».

C’est pourquoi la question qui se pose est celle de la citoyenneté, souligne-t-il : « Qu’est-ce qu’un citoyen aujourd’hui ? Est-ce que ça passe seulement par la naissance ? Ce peut être aussi par la capacité à être acteur dans le jeu des déplacements, des actions qui font l’actualité dans une société donnée. Donc, une définition nouvelle de la citoyenneté. Est citoyen celui qui est concerné par des décisions qui vont se prendre à son sujet. Donc ça vaut pour tous. »

Reconnaître les limites

« Quand on rencontre des migrants, on rencontre des personnes ! Les personnels administratifs traitent des dossiers… » Un peu provocateur, Philippe Demeestère suggère que, si ces personnels administratifs « rencontraient les migrants autrement qu’à travers leurs procédures, peut-être changeraient-ils leurs regards ! C’est dans la rencontre que la personne peut se laisser toucher et transformer. » Tout en étant conscient qu’on ne peut pas résoudre tous les problèmes. Car, comme le remarquait une personne du Secours Catholique, on peut être démuni face aux personnes qui viennent dans les permanences des lieux d’accueil et qui, lors de la fermeture en fin d’après-midi, se lamentent de ne pas savoir où aller car elles n’ont pas de logement…

« Il faut être à l’aise avec ses limites, répond le père Demeestère, et les limites de celui ou celle qu’on accueille qui, parfois, se met en situation de nous forcer à agir. Au-delà de ces limites, nous pouvons leur faire entendre que nous avons besoin d’eux et que nous ne sommes pas tout puissants. Nous pouvons agir en fonction de leur propre contribution ». C’est dans les Évangiles, souligne le jésuite : « Lorsque Jésus dit : “va, ta foi t’a sauvé”, c’est bien cela qui est en jeu. Comment, au-delà d’une demande précise, il y a quelque chose de plus large qui fait que tu es disponible pour sortir du seul horizon de ton intérêt propre pour t’ouvrir à ce qui va bâtir du commun ».

Le sourire porteur d’espérance

Ce qui frappe lorsque l’on rencontre les personnes qui son engagées dans l’accueil des migrants, c’est leur sourire, signe d’un espoir toujours vivant. C’est bien le cas de Philippe Demeestère qui ose et affirme que : « On a de la chance d’être au cœur des bouleversements » ! Mais ce n’est pas nouveau, pourrait-on lui rétorquer quand on pense aux différentes crises économiques, écologiques, aux guerres… qui ont émaillé notre histoire ! « Ces bouleversements sont une chance, insiste-t-il, parce que c’est exaltant ! On est en prise avec un monde qui est en train de naître. Nous en sommes, chacun de nous à notre mesure, les artisans… avec de petits moyens dont je pense que – et c’est là pour moi la figure de l’Eucharistie – ils sont porteurs d’un infini. C’est à nous de repérer comment, à travers des choses très petites qui sont accessibles à chacun – du pain et du vin, comme a pu le faire Jésus de Nazareth dans un lieu d’effondrement complet qu’il a vécu lui au niveau individuel – comment au niveau d’une société, on peut repérer ce qui est puissance d’infini pour les décennies à venir ».

Telle est cette espérance qui se manifeste dans le sourire du compagnon de Jésus : « Je suis passionné parce que, à Calais par exemple, je suis en contact avec une multitude de jeunes bénévoles qui viennent mettre les mains dans la boue et je suis ravi de voir comment eux-mêmes sont porteurs de potentiels tout-à-fait à même de répondre aux défis de l’avenir. » Pourtant, lors des rencontres avec les militants de Saint-Étienne, on a regretté l’âge avancé des bénévoles et un manque de mobilisation. Philippe Demeestère se veut rassurant : « Il faut cesser de vouloir évaluer nos échecs et nos succès à la mesure de notre durée de vie. On est engagé dans ce qui est déjà l’éternité ! Les uns sèment, les autres récoltent et ça donne une grande liberté pour prendre le temps de mariner et de ne pas voir les effets ».

Lucide, l’aumônier du Secours catholique du Pas-de-Calais conclut : « Je me suis aperçu, en travaillant longtemps avec les sans-abris, que je faisais fausse route en essayant de discerner quelles pouvaient être les réussites de mes actions. Je ne sais pas ce qui se passe à l’intérieur de quelqu’un ; il y a peut-être quelque chose qui a changé et que je n’ai pas vu mais qui est, pour cette personne-là, porteuse d’éternité. Je ne le vois pas mais je ne m’arrête pas à ce qui semblerait être un échec ».

À la remarque qui lui est faite qu’être : « engagé dans ce qui est déjà l’éternité », c’est accomplir le Royaume cher aux chrétiens, Philippe Demeestère, toujours avec le sourire, répond : « Oui, tout à fait, c’est aujourd’hui. Prédication de Nazareth : aujourd’hui ça se réalise ». Reste à savoir, ajoute-t-il, « comment on donne figure à cet aujourd’hui ? ».

Auteur et crédits
Secours Catholique Loire